Extrême pauvreté et les droits de l’homme

Photo par Nancy Durand, rscj
Photo par Nancy Durand, rscj

En Octobre 2011, la Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, Mme Magdalena Sepúlveda Carmona du Chili, s’est adressée à l’Assemblée générale de l’ONU lors de la discussion sur les droits de l’homme par la Troisième Commission. Le rapport de 2011 de la Rapporteuse spéciale (UN document A/66/265, du 4 août 2011) a été particulièrement important car il analyse « plusieurs lois, règlementations et pratiques qui punissent, isolent et contrôlent les personnes vivant dans la pauvreté et compromettent leur autonomie. « 

Comme ce rapport le montre, de telles mesures ont été adoptées beaucoup plus fréquemment durant les dernières décades, et elles se sont même tellement intensifiées durant ces dernières années, dû aux crises économiques et financières, qu’elles sont maintenant considérées comme une menace sérieuse à la jouissance des droits de l’homme pour les personnes qui vivent dans la pauvreté.

Ce rapport est une lecture indispensable pour quiconque travaille avec ceux qui vivent dans la pauvreté, qu’ils soient des sans domicile fixe (SDF), des enfants de la rue, des vendeurs de rue, des personnes déplacées par suite d’une transformation urbaine qui favorise la classe bourgeoise et qui privatise des bâtiments sociaux etc. « La pauvreté n’est pas un choix de style de vie », telle est la conclusion percutante de ce rapport. C’est pourquoi personne ne devrait être puni de vivre dans une situation qu’ils n’ont pas choisie.

Le rapport de la Rapporteuse spéciale a cinq parties :

  1. Introduction
  2. Les réalités de la pauvreté : stigmatisation, discrimination, pénalisation, exclusion
  3. Le cadre international des droits de l’homme
  4. Mesures de pénalisations qui compromettent la jouissance des droits de l’homme
  5. Conclusions et recommandations

La partie IV, « Mesures de pénalisations qui compromettent la jouissance des droits de l’homme » est divisée en quatre sections très riches d’exemples :

  1. Lois, règlementations et pratiques qui limitent les comportements des personnes vivant dans la pauvreté dans les espaces publics
  2. Règlements et mesures relatifs à l’aménagement urbain
  3. Conditions d’accès aux services publiques et aux prestations sociales
  4. Usage excessif et arbitraire de la détention et de l’incarcération

Cecile Meijer, rscj
Février 2012


Extraits du Rapport de la Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, document de l’ONU A/66/265.

3. Le rapport emploie l’expression « mesures de pénalisation » pour faire référence en général aux politiques, lois et règlements administratifs qui punissent, isolent et contrôlent les personnes vivant dans la pauvreté et sapent leur autonomie. Ces mesures ne sont homogènes ni dans leur conception ni dans leur effet; ells varient considérablement quant à leur but et à leur impact entre les régions, États, provinces et municipalités et à l’intérieur de chaque région, État, province et municipalité. Certaines d’entre elles aboutissent tout simplement à l’incrimination, la poursuite et l’incarcération de personnes vivant dans la pauvreté, tandis que d’autres règlementent et contrôlent de manière excessive divers aspects de leur vie. Certaines ont des effets punitifs tels que l’imposition de lourdes amendes, la privation des bénéfices sociaux et la violation des droits au respect de la vie privée et à l’autonomie. Certaines mesures ciblent explicitement les personnes vivant dans la pauvreté tandis que d’autres sont des lois, des politiques et des pratiques qui, tout en étant dirigées vers toutes les personnes, ont un impact disproportionné sur celles qui vivent dans la pauvreté.

4. … Il explique comment ces mesures ont résulté de préjugés et de stéréotypes profondément enracinés qui se sont infiltrés dans les politiques publiques. …

5. … Les personnes vivant dans la pauvreté ne sont pas responsables de la situation dans laquelle elles se trouvent; il ne faut donc pas que les États les punissent ou les pénalisent en conséquence. Les États doivent plutôt adopter des mesures et des politiques de grande ampleur afin d’éliminer les conditions qui causent, exacerbent ou perpétuent la pauvreté et veiller à la réalisation de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques des personnes vivant dans la pauvreté.

7. Les mesures de pénalisation tiennent de stéréotypes discriminatoires selon lesquels les personnes vivant dans la pauvreté seraient paresseuses, irresponsables, indifférentes quant à la santé et à l’éducation de leurs enfants, malhonnêtes, indignes et même criminelles. …

8. À cause de la discrimination et de la stigmatisation dont elles sont victimes, les personnes vivant dans la pauvreté développent souvent des sentiments de peur et même d’hostilité envers les autorités publiques et ont peu confiance dans les institutions qui sont censées les aider. Trop souvent, elles sont traitées irrespectueusement ou avec condescendance par les décideurs, les fonctionnaires civils, les travailleurs sociaux, les agents de police, les enseignants et les prestataires de soins de santé qui parfois manquent de reconnaître et d’appuyer les efforts que ces personnes sont en train de fournir pour améliorer leur situation.

10. … En situation d’asymétrie de pouvoir, les personnes vivant dans la pauvreté ne sont pas en mesure de revendiquer leurs droits ou de contester les violations. Elles peuvent se heurter à des obstacles en communiquant avec les autorités pour cause d’analphabétisme, de manque d’informations ou de barrières linguistiques, situation particulièrement grave pour les migrants, les autochtones, les minorities ethniques et les personnes handicapées. …

25. Pour éradiquer la pauvreté dans une perspective des droits de l’homme, il faut assurer une participation active, libre et éclairée des personnes vivant dans la pauvreté à toutes les étapes de la conception, de la mise en oeuvre et du suivi des politiques qui les concernent. Une participation véritable ne devrait pas se limiter à une affirmation du droit de chaque personne et de chaque groupe de prendre part à la direction des affaires publiques11, mais elle doit également servir à la recherché d’une solution au problème de la pauvreté et de l’exclusion sociale. …

52. … Les personnes vivant dans la pauvreté doivent surmonter plusieurs obstacles et payer plusieurs frais pour avoir accès aux documents officiels. Les documents peuvent être coûteux et d’accès difficile pour des personnes qui n’ont pas d’adresse fixe ou qui ne possèdent pas une preuve d’identité. Ceci est particulièrement courant dans les pays en développement, où certains des plus vulnérables et des plus exclus, surtout les femmes et les minorités ethniques, ne sont pas enregistrés à la naissance. L’obtention des documents nécessite aussi des interactions avec les fonctionnaires des services publics qui souvent ne connaissent pas suffisamment les besoins particuliers et la situation des personnes vivant dans la pauvreté. …

Conclusions et recommandations
...
76. Au lieu de pénaliser les plus pauvres parce qu’ils se trouvent dans cette situation, les États doivent prendre des mesures constructives pour éliminer les obstacles juridiques, économiques, sociaux et administratifs auxquels se heurtent les personnes vivant dans la pauvreté pour accéder à la nourriture, au logement, à l’emploi, à l’éducation et aux services de santé et qui les empêchent de jouir de leurs droits économiques, sociaux et culturels sur un pied d’égalité avec le reste de la population et en tant que partie intégrante d’une communauté sans exclusive.

77. L’obligation en matière de droits de l’homme qui consiste à assurer, tout au moins, l’essentiel de tous les droits économiques, sociaux et culturels implique une responsabilité d’assurer un niveau de vie suffisant par les moyens de subsistance de base, y compris en fournissant l’essentiel en matière de soins de santé primaire, de logement et d’enseignement. …

82. …

a) Les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer toute discrimination directe ou indirecte à l’encontre des personnes vivant dans la pauvreté. … Ils doivent examiner la législation nationale afin de repérer tout impact discriminatoire sur ceux qui vivent dans la pauvreté et abroger ou modifier toute loi qui a pour objectif ou conséquence de compromettre la jouissance égale des droits par ceux qui vivent dans la pauvreté;

d) Les États doivent créer un environnement qui favorise la participation des personnes vivant dans la pauvreté à la vie publique et aux décisions qui touchent à leur vie. À cette fin, ils doivent repérer et écarter les obstacles institutionnels qui empêchent les groupes vulnérables et marginalizes de participer pleinement aux processus de prise de décisions;

i) Les États ne doivent avoir recours à la détention et à l’incarcération que pour répondre à un besoin sociétal urgent et d’une manière proportionnelle à ce besoin. Ils doivent veiller à ce que l’arrestation ou la détention n’ait pas d’incidences disproportionnées sur les personnes vivant dans la pauvreté. À cette fin, les États doivent :

...

ii) Veiller, dans toute la mesure possible, à ce que les procédures de libération sous caution tiennent compte de la situation économique et sociale des personnes vivant dans la pauvreté.